Le baron de Coubertin refusait que l’on fasse des sports mécaniques une épreuve olympique car il se disait convaincu qu’ils étaient une telle provocation, avec leur exhibition de richesse obscène et du culte de la puissance, qu’ils causeraient des révolutions. Face aux dirigeants de la F1 qui clament leur amour des dictateurs, n’est-il pas urgent d’interdire les sports mécaniques qui s’apparentent à de véritables armes de destruction massive ?
La France renoue en 2018 avec le Grand-Prix de France de F1 après dix ans d’absence. Les sports mécaniques présentent une situation paradoxale. Caricature de l’idéologie sportive et de ses méfaits, comme le rappelait Albert Jacquard, il n’existe pourtant aucun ouvrage critique, ni en France ni à l’étranger.
Après avoir mis en évidence les liens étroits qui unissent historiquement la genèse des sports mécaniques à l’essor de la bicyclette, au XIXe siècle, Paul Ariès démontre que les grandes figures des sports mécaniques ont toujours été animées d’une passion forte pour l’inégalité et haineuse de la démocratie.
Cette passion permet de comprendre l’incroyable pollution sonore et aérienne, causée par les bolides, mais aussi ces formes de continuation de pratiques fortement teintées d’esprit colonialiste, comme le trop fameux Dakar, ou encore le fait que la Formule 1, parangon du capitalisme, soit un sport de riches, largement payé par les pauvres.
Paul Ariès est politologue spécialiste de la mondialisation et citoyen engagé, notamment contre la sportivation de nos existences. Il a parrainé l’AlterTour, l’Ultrasieste (face à l’ultraTrail du Mont Blanc), la Marche nationale pour l’interdiction de la F1 et a participé à la collection « Regards sur le sport » de l’INSEP.
On assimile souvent le sport au jeu. Pourtant, si le sport est le produit que la modernité capitaliste a élevé au rang de pratique éducative universelle, l’observation des jeux d’enfants révèle un déploiement de gestes, de récits, de « signaux » qui ne sont jamais l’œuvre préétablie, ni des adultes, ni d’une époque. En cela, un monde sépare le sport du jeu.
Ronan David et Nicolas Oblin sont docteurs en sociologie. Ils participent depuis de nombreuses années aux travaux du collectif Illusio. Leurs travaux de recherche visent au dévoilement et à la compréhension des processus de domination et de réification (marchande et technologique) du corps et de la culture à l'œuvre dans la société capitaliste.
Là où les mouvements féministes avaient lutté pour un corps vivant, jouissant, érotique, poétique, le sport réduit à néant les perspectives de libération et produit sur les jeunes filles et les femmes une violence meurtrière. Le sport moderne se constitue ainsi comme une véritable machinerie visant à domestiquer les corps charnels, voluptueux et s’oppose en tout point à toutes les revendications émises par le mouvement féministe.
Le sport comme « nouvelle industrie de masse » pour transformer les femmes en hommes virils ?
Ronan David est docteur en sociologie, chargé de cours à l’Université de Caen et membre du comité de rédaction de la revue Illusio.
Dans la presse :
Le football, première religion mondiale, se présente de manière aliénante à ses fidèles comme un spectacle universalisé, qui occulte pour eux toutes les coulisses d’un sport dans lesquelles fleurissent dopage, corruption et magouilles diverses, en résonance avec le désordre capitaliste de l’économie néo-libérale. D’origine belge, l’auteur prend pour illustration la participation de l’équipe nationale de son pays à la récente Coupe du monde pour mettre en évidence cette occultation et l’intervention du football pour promouvoir au sein des masses sidérées l’« état crépusculaire » de l’humanité.
Claude Javeau est professeur émérite de sociologie de l’Université Libre de Bruxelles. Il vient de publier aux Éditions du Bord de l’eau, Des impostures sociologiques.
Derrière l’idéologie dominante d’un sport « facteur d’épanouissement et de bien-être pour tous », se cachent les dérives d’une compétition toujours plus prégnante, toujours plus massive, qui déstabilise les individus, les déséquilibre, les met en situation de souffrance et parfois les détruit (dopage, agression, addiction, violence, pathologies et déséquilibres psychologiques divers…).
Le sport ou la passion de détruire.
Auteur de nombreux ouvrages, Patrick Vassort est maître de conférences à l’université de Caen et directeur de publication de la revue Illusio.
L’institution sportive, cette honorable société, avec ses hiérarchies, ses codes, ses hommes d’honneur, est la plupart du temps considérée comme un modèle idéal de « vivre ensemble ». Pourtant, les rapports de socialisation qu’elle produits reposent avant tout sur les notions de production de performances, de mises en concurrence, de sélection et de hiérarchisation, qui sont la réplique exacte de la rationalité capitaliste.
Pour rendre acceptable et légitime ce mode de « vivre ensemble », l’institution sportive mobilise tout un arsenal idéologique qui permet de masquer la réalité de ce qu’elle met en jeu en valorisant à l’extrême des caractéristiques et des modes de fonctionnement certainement les moins utiles à l’avènement d’une société hostile à la prédation, à savoir démocratique et juste. Le modèle idéal, le champion et le héros, cumule en effet quelques traits de caractère, à travers lui valorisés, qui rendent bien compte de la continuité et de la cohérence qui lient le système sportif, le système capitaliste et le système mafieux.
Cet opuscule, composé de trois parties, s’ouvre sur la question « Du déni intellectuel de la banalisation du mal sportif ». C’est notamment la prose de Jean-Claude Michéa que l’auteur prend à contre-pied, en ce que la posture de cet « intellectuel pourtant engagé » est exemplaire de la volonté obstinée de « culturaliser » et de « folkloriser » le mal sportif.
L’analyse de l’auteur se poursuit par une partie consacrée à la critique de la valorisation populaire du héros sportif, ce prédateur des temps modernes, visant à dévoiler la dimension cachée du narcissisme autoritaire qui caractérise si souvent ces hommes et femmes d’honneur. Ce sont notamment les témoignages et expériences de nombreux champions repentis qui servent de matériau à l’analyse.
La dernière partie de l’ouvrage, « De l’omertà ou de l’art de taire l’essentiel », rend compte d’un aspect important, tant du mal sportif que des comportements typiquement mafieux, et tend à dévoiler le sens caché du silence et de la virilité qui caractérisent si bien l’omertà, notamment ce qu’elle implique du point de vue de la négation de la pensée dans l’institution sportive.
Nicolas Oblin est docteur en sociologie de l’Université Paul Valéry-Montpellier III, directeur de rédaction de la revue Illusio, membre du Centre d’étude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités, et enseignant spécialisé auprès d’enfants en grande difficulté scolaire. Il a publié Sport et esthétisme nazis (L’Harmattan, 2002), La Crise de l’Université française (avec Patrick Vassort, L’Harmattan, 2005), et Sport et capitalisme de l’esprit (Le Croquant, 2009).